En préparant mon programme en ligne de généalogie antillaise, je me mets en quête de dénicher une fiche matricule militaire d'un Guyanais, incorporé avant 1921.

Sur la plateforme des archives nationales d'outre-mer ( ANOM), j'accède au formulaire de recherche par nom et par lieu.

Le premier patronyme que je connais en Guyane, N'goma, ne donne aucune réponse.

Même chose pour Dranebois, un martiniquais de ma famille, mais arrivé plus tard en Guyane.

Pour gagner du temps j'inscris le nom Martin, sûre d'en trouver aux quatre coins de la France.

Et là, ô surprise, parmi les quelques Martin qui apparaissent, l'un attire mon attention il s'agit de Circoncision.

Des actes dressés suite au décret de l'abolition de l'esclavage le 27 avril 1848.

Les esclaves n'ayant jusque là que des prénoms voire des surnoms, ils reçoivent des patronymes qui sont le plus souvent choisis ou imposés par l'officier d'état civil.

La campagne était si colossale, qu'elle dura plusieurs années, de 1848 à 1862.

En Guadeloupe les actes d'individualité sont aussi appelés registres de nouveaux libres.

Et en Guyane, registres de nouveaux citoyens. 

Il n'y avait pas de consigne sur le type de nom à donner. La seule interdiction : donner le nom d'une famille bourgeoise connue.

Ces actes permettent en généalogie de trouver le premier ancêtre portant ce nom.

À 90% les patronymes antillais s'inspirent  :

• de nom de végétaux ( fleurs, fruits) LAFLEUR, ROSIER
• de prénom JEAN-PHILIPPE, MARIE-ROSE
• d'anagramme  : Avril LIRVA, Désiré RESCHID
• de lieux : ALGER, MADAGASCAR, CALABRE, MISSOURI
• de personnage de la mythologie : PANDOR, AJAX, JUPITER
• de métier ou d'outils : MARTOT, BOULANGER, BOUCHER
• du nom du propriétaire de l'habitation : CRAMPONT pour Claude Rampont de Surville

Les officiers ont-ils été dépassé par cette campagne de nomination qui dura tout de même 15 ans versus 2 mois préconisés par l'administration? Certains noms sont vulgaires, dégradants. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ils n'ont pas tous disparus. En voici quelques uns :

• MERKILED
• TROUABAL
• DIABOLUS
• PASBEAU
• VAMPIRE
• LAFOLLE
• COUCOUNE

Pour la Martinique  :

• sur le site de la Banque Numérique des Patrimoines Martiniquais, et
• sur le site Anchoukaj.org

Pour la Guadeloupe : 

• sur le site Anchoukaj.org

Pour la Guyane et la Réunion sur le site ANOM

Comme nous l'avons vu plus haut, certains noms imposés par l'administration coloniale sont dégradants.

Les nouveaux citoyens n'ont pas eu leur mot à dire dans ce choix. Pour la plupart, ils ne savaient ni lire ni écrire.

Inversement, le choix d'un prénom pour un enfant revient intégralement à la mère dans le cas d'une naissance naturelle, ou au père pour les couple marié ( il y a 100 ans hein!)

À ce sujet, je vous conseille l'excellent podcast Histoires de prénom.

Il est donc surprenant  de voir ce prénom Circoncision donné vers 1890, soit 40 ans après l'abolition de l'esclavage et l'attribution des patronymes.

Le mot circoncision a peu évolué avec le temps.

Pour le dictionnaire Larousse : Excision totale ou partielle du prépuce. (En usage dans de nombreux peuples, la circoncision est un rite religieux essentiel dans le judaïsme, où elle est le signe de l'alliance du peuple de Dieu avec Yahvé, et dans l'islam, où elle constitue une étape initiatique à l'orée de la vie adulte.)

Nous nous sommes penchées sur l'histoire des Juifs en Martinique pour essayer de comprendre ce prénom.

Un article y sera prochainement dédié sur ce blog ou celui de Krys.

À force de recherche, je tombe sur la circoncision du Christ.

 Fait qui m'était inconnu car je n'ai pas reçu d'éducation religieuse. Un peu comme pour l'histoire des Antilles.

La Circoncision du Christ est une fête chrétienne qui commémore la circoncision de Jésus, huit jours après sa naissance, selon la tradition juive (Luc 2:21). Cet événement marque aussi le moment où il reçoit officiellement son nom, Jésus, signifiant "Le Seigneur sauve".

Dans le judaïsme, la circoncision (brit milah) est un rite fondamental marquant l'entrée d'un garçon dans l'Alliance avec Dieu, comme établi avec Abraham (Genèse 17:10-14). Jésus, étant né dans une famille juive, a suivi cette tradition.

La fête de la Circoncision du Christ était célébrée dès les premiers siècles du christianisme, surtout en Orient. Elle était une manière d'insister sur l'humanité de Jésus et sur sa fidélité à la Loi de Moïse.

Pendant longtemps, l'Église d'Occident célébrait la Circoncision du Christ le 1er janvier, soit huit jours après Noël, en lien avec le calendrier liturgique et la tradition juive. Cependant, au fil du temps, cette fête a perdu de son importance en Occident, notamment après les réformes liturgiques du XXe siècle.

Dans l'Église catholique, la fête a été remplacée en 1969 par la Sainte Mère de Dieu, une solennité mariale mettant en avant le rôle de Marie.

J'ai donc laissé ces infos dans un petit coin de ma tête, et je me suis mise à la recherche de Martin Circoncision et de sa famille.

Sur ce registre figure l'état civil de ce jeune homme né en 1890.

Étrangement, la date exacte n'est pas renseignée, les noms complets des parents non plus.

On sait néanmoins qu'il est né en Martinique à Rivière-Pilote et qu'il réside en 1910 à Saint-Laurent du Maroni en Guyane.

Avec ces informations lacunaires, je peux consulter les tables décennales (ou annuelles) de la commune de Rivière-Pilote, à la recherche de son acte de naissance, en 1890.

Pas de Martin Circoncision en 1890 à Rivière-Pilote.

J'étends ma recherche de 1884 à 1895, mais toujours rien.

Sur les tables décennales (tables alphabétiques sur 10 ans), chaque double-page contient environ 70 noms, et il y a 75 double-pages, soit environ 5000 noms. Je n'ai pas eu le courage de chercher uniquement le prénom Circoncision.

J'ai tout de même relevé tous les Martin nés mariés ou décédés depuis 1864.

Geneanet est un site de généalogie collaborative.

Son moteur de recherche permet, à partir d'un nom, d'un prénom ou d'une date, de trouver un arbre généalogique ou une fiche INSEE de décès.

Pour plus d'info téléchargez le guide gratuit des 5 outils incontournables en généalogie antillaise.

J'ai joué avec les dates, les variantes de noms et de prénom, mais aucune réponse pour MARTIN Circoncision. Et en demandant juste "MARTIN" en Martinique, on obtient 2986 réponses.

Je me rabats sur ma liste de MARTIN en Martinique , depuis 1864. Cette liste contient deux fois un MARTIN Auguste, l'un en 1864 (sa naissance), l'autre en 1893 (sa reconnaissance).

Un peu tard pour une reconnaissance presque 30 ans après sa naissance, mais aux Antilles, ce n'est absolument pas choquant.

En consultant les actes correspondants, je m'aperçois qu'il ne s'agit pas de la reconnaissance d'Auguste MARTIN, mais d'une double reconnaissance par Auguste MARTIN.

En 1893, il reconnait deux enfants dont CABRÉRA Circoncis né le 1er janvier 1887 à Rivière-Pilote en Martinique.

Je peux donc retrouver son acte de naissance qui confirme le prénom Circoncis, l'identité et l'âge de sa mère (mais pas son lieu de naissance).

La fiche matricule était erronée :

• Le prénom de naissance était Circoncis et non pas Circoncision.
• Il est né en 1887 et non pas en 1890
• Son père est Auguste et non Dionie 

Il était d'usage de reconnaître ses enfants nés d'une union libre plusieurs années voire décennies après.

Soit en les reconnaissant comme l'a fait Auguste MARTIN, soit par le mariage avec la mère.

Finalement, Circoncis né le 1er janvier, porte le nom de la fête chrétienne du jour.

Un peu comme les Noël, Noëlle, Noëllie... nés le 25 décembre. (ou les Fetnat nés le 14 juillet)

Il était difficilement trouvable dans les archives sans son nom de naissance CABRÉRA.

Je retrouve la même difficulté pour retrouver sa mère qui a elle aussi, a due être reconnue plus jeune par un sieur CABRÉRA. À moi les tables décennales ou annuelles, à la recherche d'un mariage ou d'une reconnaissance dans les années 1870.

Et comme j'aime farfouiller encore un peu, je suis retourner aux registres matricules des MARTIN.

Allant voir les fiches matricules des autres MARTIN aux prénoms plus "conventionnels".

Ô surprise encore de découvrir d'autres jeunes gens nés à Rivière-Pilote en Martinique et résidant en Guyane.

Le père est toujours Auguste MARTIN, les mères sont différentes.

Les métiers de mineurs inscrit sur les fiches matricules laissent penser qu'ils ont probablement migré pour l'exploitation aurifère en Guyane.

Ses recherches ont été motivé par le désir d'en apprendre plus sur l'attribution des prénoms avant 1900 aux Antilles, et sur les mouvements de population à partir ou vers les territoires outre-mer.

Christiane Picard, passionnée de généalogie à la Réunion, a judicieusement relevé sur les fiches militaires de Circoncision (oui, étrangement il y en a plusieurs), qu'il était réformé, au bout de 7 années de bons et loyaux services pour la France pour motif de "Débilité mentale". On y voit également la mention "irrécupérable". Cela donne une idée de la façon dont les recrues noires était traitées par la France, déjà dans les années 1900.

Hommage à celui qui est revenu au pays et y est décédé à l'âge de 72 ans.